lundi 10 décembre 2012

Le père Noël est un cochon


Manière de clôturer en beauté une année particulièrement faste, notre éditeur préféré aborde la saison des fêtes avec une hotte bien remplie : 4 films ouvrent une collection Jess Franco chez Artus Films qui risque de ravir les amateurs frustrés du stakhanoviste espagnol. 
Adulé, détesté ou ignoré, Jesus Franco, l'homme aux 200 films (dont trois en 2012, à 80 ans passés, selon Imdb) a dédié l'essentiel de sa filmographie, de sa vie, au cinéma d'exploitation, se pliant aux commandes de producteurs pingres et/ou fauchés, rarement scrupuleux, mais heureusement souvent peu regardant. Ce qui lui permit de développer ce que même ses détracteurs sont obligés d'appeler une œuvre. 
Obsédé pas seulement sexuel, fin connaisseur en cinéma, en littérature érotique et fantastique, en jazz, il a inventé son propre univers constitué de femmes exhibitionnistes et d'hommes voyeurs, de demeures étranges et d'extérieurs sauvages, où se croisent les figures perverses échappées du Marquis de Sade et les grands mythes du fantastique. Il a surtout inventé son propre langage cinématographique, refusant la grammaire classique, s'autorisant de grands balayages caressants, des zooms pénétrants, raffolant des contre-plongées au grand angle et des changements de focale dans le plan. 

Mais assez parlé technique, passons au menu ! Dans l'ordre chronologique, tout d'abord Venus in furs (1969) connu aussi sous le titre Paroxismus, considéré comme l'un des sommets de son œuvre, histoire de vengeance d'outre-tombe qui n'a pas grand-chose à voir avec le classique de Sacher Masoch, mais rappelle par certains côtés Vertigo d'Alfred Hitchcock. Puis Plaisir à trois et La Comtesse Perverse, tournés en même temps (Jess Franco étant le genre de type qui part avec une équipe, un scénario, un décor et revient avec deux films...), le premier étant librement inspiré du Marquis de Sade et le second carrément calqué sur Les Chasses du Comte Zaroff.Tous deux sortiront en 1974, sauf que La Comtesse Perverse, considéré à l'époque comme trop timide par rapport à l'arrivée du hard sera caviardé d'inserts plus explicites et deviendra Les Croqueuses. Enfin Célestine... Bonne à tout faire, sorti la même année, ressemble aux grandes heures du porno bourgeois français : un mélange de vaudeville et de cul sur le canevas du Journal d'une femme de chambre d'Octave Mirbeau, dans une ambiance et un décor marqués début du XXème siècle (policiers à moustaches, valet en gilets rayés, soubrettes en jupette noire et petit tablier blanc, culbute dans les foins ou sur lits à baldaquins, etc.)
Lina Romay et Howard Vernon, 14 ans avant La Lectrice de Michel Deville
Il serait fastidieux d'analyser les œuvres en détail, les avis étant généralement tranchés et résistants sur le cinéma de Jess Franco. Notons tout de même quelques particularités intéressantes, à commencer par l'ambiance très jazzy de Venus in furs, tout à fait logique quand on apprend dans les bonus que le film aurait été inspiré au réalisateur par une conversation avec le trompettiste Chet Baker à propos de la transe durant le solo de jazz. Légende ou réalité, le personnage principal est bien un trompettiste qui, de plus, fréquente une chanteuse, ce qui vaut de longs passages musicaux où l'on peut même apercevoir Jess Franco derrière un trombone ou un piano.
Dans La Comtesse Perverse on retrouve la maison dessinée par Ricardo Bofill devant laquelle Soledad Miranda descendait les marches dans She Killed in extasy (et celui-là, c'est quand que vous le sortez Artus ?). Cette fois on en découvre l'intérieur au cours d'une descente d'escalier tellement jolie que Jess nous la met deux fois dans le film.


Plaisir à trois contient un musée de statues humaines qui rappelle quelques grandes heures déviantes du cinéma (Le Moulin des supplices ou Spasmo) mais il offre aussi une prestation très ambiguë de Lina Romay en masochiste soumise et demeurée qui s'exprime essentiellement par des râles et des gémissements.

Quant à Célestine..., certainement le moins intéressant de ces quatre films avec son registre gaulois qui ne semble guère intéresser le réalisateur, il vaut tout de même le coup d’œil, encore une fois pour Lina Romay, pleine de vie, de sève, belle comme le jour, filmée amoureusement par un homme qui a compris qu'elle suffisait à sauver le projet... 

Les DVD :
Si l'on comprend très bien que rassembler ces films en coffret eut été un mauvais calcul pour l'éditeur, la grande cohérence éditoriale de ces quatre premiers titres constitue au final une somme très intéressante en ce qui concerne la mémoire du cinéma d'exploitation. Les copies sont toutes excellentes et les compressions très honorables. La question des versions audio ne se pose pas vraiment, le cinéma de Franco étant d'une part pots-synchronisé et d'autre part soumis à de multiples refontes selon les pays, un problème récurrent dans les circuits de l'exploitation.
Et c'est là que les bonus s’avèrent passionnants, fourmillant pour chaque film d'anecdotes et de révélations concernant aussi bien la genèse que la réalisation et la diffusion de ce cinéma. La Comtesse est éclairée par les lumières de Jean-François Rauger, responsable de l'hommage à Jess Franco à la Cinémathèque. Jean-Pierre Bouyxou,  légende de l'ombre du cinéma bis, se charge de Célestine... et raconte, avec une grande honnêteté critique, l'histoire du film vue de l'intérieur. Son débit hésitant est largement compensé par le vibrant hommage qu'il rend au grand amour qui unissait Jess Franco et Lina Romay, tristement disparue en février. Quand à Alain Petit, habitué des bonus d'Artus, il se charge de Venus in furs et surtout de Plaisir à 3, film pour lequel il est devenu un peu par hasard scénariste de Franco (à l'exception des dialogues orduriers des scènes de cul, qu'il n'a découvert qu'à la sortie du film...)
Vous l'aurez compris, si l'on se surprend parfois à bailler devant certaines séquences étirées ou répétitives des films, l'essentiel et de découvrir un réalisateur unique dans l'histoire du cinéma, un créateur fascinant, les suppléments justifiant à eux-seuls l'achat des DVD.
Et comme c'est fête, les amis d'Artus vous font un prix pour les 4 : de quoi pimenter à vil prix les longues et emmerdantes soirées familiales qui se profilent.

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